Billets qui ont 'Lang, Fritz' comme nom propre.

La lassitude de la Mort

Ciné-concert dans l'église de Moret : Der müde Tod de Fritz Lang (1921) à Moret, accompagné au luth médiéval par Jozef Van Wissem, compositeur quasi-exclusif des bandes originales de Jim Jarmush (mais comment et pourquoi s'est-il retrouvé à Moret?).

J'y suis allée davantage pour Lang que pour Van Wissen (que je ne connais pas: ce que j'ai précisé plus haut vient d'internet).

C'est un film restauré récemment grâce à des partenariats internationaux. C'est un conte, avec la stylisation des contes, c'est lumineux et vaporeux à la fois. Effets spéciaux par superposition, par surexposition.

Le conte se déroule en six chapitres, bien caractérisés. Le premier nous présente un jeune couple heureux dans une diligence. Un grand homme en noir arrête l'attelage et monte dans la voiture. Le deuxième nous montre la ville, ses notables à la Daumier et noue l'intrigue: l'étranger en noir a acheté le terrain près du cimetière et l'a clos d'une enceinte sans porte et dont on ne voit pas le faîte tant elle est est haute. Le jeune homme meurt, la fiancée rencontre la Mort (l'étranger, comme nous le savons tous). Très belle scène sous une voûte immense emplie de cierges; chaque cierge représente la durée d'une vie qui inexorablement fond vers sa fin.
La Mort propose un marché à la jeune femme: elle lui confie trois bougies à dix centimètres de leur fin, représentant la vie de trois jeunes hommes: si la fiancée parvient à en sauver un, la mort lui rendra son bien-aimé.

S'en suit trois épisodes, en pays mahométan, en Italie et en Chine, avec tous les indices qui permettent au spectateur de s'orienter dans des représentations qui s'appuient sur des clichés, non seulement visuels, mais également musicaux (trois types de musique) et graphiques: les cartons entre les scènes adoptent des graphies rappelant l'écriture arabe ou chinoise. Je vous joins ici trois cartons: le titre, en écriture gothique, un carton arabisant et un carton de type calligraphie chinoise.

Der müde Tod - carton en écriture gothique Der müde Tod - carton en police arabisante Der müde Tod - carton en police de style chinois


La jeune femme échoue à chaque fois (comment empêcher une bougie de fondre si elle brûle?), ce qui explique le titre: la Mort exprime sa lassitude d'être invincible. Elle propose alors à la jeune femme de lui rendre son fiancé contre la vie d'un autre humain. Le dernier chapitre se déroule dans le village, où la jeune femme tente de trouver un habitant qui accepte de donner sa vie pour qu'elle puisse retrouver son bien-aimé.

C'était très beau et je n'ai pas eu froid (ma crainte prosaïque).

Pour les cinéphiles, un billet sérieux qui m'apprend que le titre est classiquement traduit par Les trois lumières (mauvaise traduction: les trois flammes serait plus exact et rendrait mieux la tension qui traverse le film).

Quelques questions de traduction

Je pourrais difficilement donner mon avis sur Max Dixon détective car j'ai dormi la plupart du temps (ce qui peut paraître déjà un jugement, mais pas tout à fait: je dors si facilement).
C'est un film d'atmosphère plus que d'action, un film où les remords du héros sont attisés par l'amour. J'ai vu un gros plan de chaussures, des genoux, j'ai pensé à Crime et châtiments, et je me suis endormie.
Une question demeure: comment Where the sidewalk ends est-il devenu Max Dixon détective? Voilà une façon radicale de résoudre les difficultés!
Ce titre résume très bien le film, qui commence par un gros plan sur des jambes qui marchent sur un trottoir mouillé avant d'enjamber un caniveau qui déborde: ce "ends" représente-t-il une fin ou un commencement (là où se termine le chemin ou là où mène le chemin)? Le "sidewalk" (trottoir? inutilisable en français, trop connoté) est sans doute à la fois les actes (mauvais) et les tourments de conscience du héros. Le titre indiquerait donc une libération à la fin du film (la fin du chemin tortueux), mais également que ce chemin torturé et cette conduite peu recommandable étaient le moyen d'arriver au bonheur, ce qui est plus ambigu.

Autre bizarrerie, La cinquième victime (1955) est la traduction de While the city sleeps. L'explication est plus simple: Quand la ville dort avait servi à traduire The Alsphat Jungle en 1950.
Je n'ai pas fait assez attention, je ne compte pas cinq victimes, mais trois, quatre en comptant la tentative de meurtre...
Je pensais le film des années 30 jusqu'à ce que Gvgvsse me détrompe: il aurait relevé d'une parfaite esthétique pour un film des années 30, établissant un archétype du genre; pour un film des années 50 il est trop parfait, il devient un pastiche de lui-même, un Cadavres ne portent pas de costard avant l'heure (les indices si faciles à décrypter, l'un des trois personnages importants du journal, amant de la femme du patron, habitant comme par hasard sur le même palier que la secrétaire fiancée au journaliste héros de l'histoire...).
Gvgvsse n'a pas aimé, trop artificiel, je suis sortie de la séance plus hésitante: que venais-je de voir? Pas un film policier, si j'osais l'anachronisme, je dirais presque «un film sur la vie en entreprise», la lutte entre trois employés modèles manipulés par un nouveau patron incompétent, trois employés trop aveuglés par le goût du pouvoir pour songer à s'unir et faire front. Le manque d'ambition du héros lui sera reproché dès les premières images, heureusement, sa fiancée sera ambitieuse pour deux. Les femmes sont très ambitieuses, dans ce film, et parviennent plus ou moins à leurs fins — sauf la femme infidèle, on ne badine pas avec la morale.


Dimanche, j'ai ouvert Les films de ma vie, de François Truffaut. Ses remarques m'ont surprise, elles ne sont pas fausses mais elle me paraissent outrées. Tirer de ce film une analyse de la dureté de Fritz Lang après l'épreuve du nazisme... cela me dépasse un peu.

While the city sleeps nous montre les faits et gestes d'une dizaine de personnages qui gravitent autour d'un grand journal. Le directeur brusquement décédé, son fils, snob dégénéré et incompétent offre le poste à celui des trois candidats qui découvrira un étrangleur de jeunes femmes que Fritz Lang, qui cette fois rejette l'énigme policière, nous présente avant même, en pleine activité. Ce qui est passionnant dans ce film, c'est le regard de Lang sur ses personnages: une dureté extrême, tous sont damnés! Rien de moins mièvre et de moins sentimental, rien de plus cruel qu'une scène d'amour dirigée par Fritz Lang. [...]
Fritz Lang multiplie les notations féroces sur chacun des personnages non dans un but satirique ou parodique mais par pessimisme. De tous les cinéastes allemands qui fuirent le nazisme en 1932, il est celui qui ne s'en «remettra» jamais, d'autant que l'Amérique, qui l'a cependant accueilli, semble lui répugner.

François Truffaut, Les films de ma vie, p.92

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